Des changements autour et à l’intérieur de soi

Partir vivre à l’étranger est toujours une expérience forte, vécue différemment selon les personnes et les circonstances. Celle-ci suscite des phénomènes corporels et mentaux, quels que soient le pays d’origine et celui d’accueil, le motif du départ et la durée du séjour. Cet effet sur l’état physique, psychique et social sera diversement ressenti ou exprimé, et ne fait que rarement évoquer par les intéressés le lien entre l’expatriation et l’état de santé.

L’acte migratoire correspond à un changement de statut et d’environnement :

  • la personne endosse un statut nouveau : d’étranger, d’allophone, de conjoint suiveur…
  • le milieu d’accueil, quant à lui, diffère de celui d’origine sur le plan physique, culturel, sociétal, linguistique…

A ses changements sont soumis le corps, le psychisme, et la vie sociale :

  • Le corps est exposé à de nouveaux paramètres physiques (température, humidité de l’air…), chimiques (ingrédients et cuisson des aliments…), temporels (décalage horaires, durée d’ensoleillement diurne, horaires et durée des repas…).
  • L’état mental est confronté dans la société du pays de résidence à des codes culturels différents de ceux avec lesquels la personnalité s’était structurée au sein de sa communauté culturelle d’affiliation. Ainsi le nouvel environnement sera interprété à partir de ses propres codes culturels d’origine, et cela sera source de sidération psychique.
  • Réciproquement, la personne étrangère fait inévitablement l’objet de représentations ou de jugements inhabituels de la part d’autrui, ce qui peut être perçu comme une épreuve, et influencer affectivement sa relation sociale. Tous ces remaniements psychiques associés à la rencontre des cultures occasionnent un éventuel état de vulnérabilité, précoce ou tardif, bref ou durable, transitoire ou définitif.
    Il s’agit du trauma migratoire, souvent improprement décrit par l’expression « choc culturel ». Ce trauma migratoire, malgré son appellation, n’est pas forcément fragilisant, il peut au contraire s’avérer structurant, notamment dans le cadre du processus d’acculturation, étape où les expats se disent « intégrés ».
  • Cet impact du changement de sol sur la santé physique, psychique et sociale se répercute alors sur la qualité de vie familiale, conjugale, professionnelle et scolaire.

En cela, la traversée des frontières n’est pas qu’une formalité administrative mais bien un processus physique, psychique et social.

Ce phénomène est observé indépendamment d’éventuels cofacteurs aggravants tels que l’existence d’une pathologie préexistante ou d’une précarité socioéconomique.

Une exposition à des risques propres à l’expatriation

Chaque région du monde a des risques sanitaires liés à son climat, à sa flore et sa faune, à des agents contaminants ou polluants, à la rareté de certains nutriments parmi les aliments disponibles, à un trafic routier ou à la survenue de conflit armée. Il s’agit des risques dits de zone.

Et puis intrinsèquement, la personne expatriée, vulnérabilisée par les remaniements physiologiques et psychiques décrits précédemment, se trouve assujettie aux risques spécifiquement consécutifs à l’acte migratoire ainsi qu’aux efforts adaptatifs sur le sol de résidence.

En somme, ce terrain fragilisé par le changement de statut et de cadre de vie se heurte à ces risques sanitaires à priori exceptionnels. De surcroit, être malade ou accidenté à l’étranger majore l’écho affectif de l’état pathologique, et corrélativement le pronostic de guérison en l’absence d’une prise en charge précoce, adaptée et prenant en compte le statut particulier du patient placé dans ce contexte.

L’accès aux soins labyrinthique sur un sol étranger

Dans leur diversité étudiée par catégories sociologiques1, les comportements des familles expatriées dans le recours aux soins sont parfois préjudiciables au pronostic des pathologies, comparés à ceux des Français résidant sur le territoire national.

On observe notamment :

  • un moindre respect des mesures préventives ciblées (excepté pour l’enfant qui fait plutôt l’objet d’une surconsommation de santé) ;
  • un suivi global non centralisé par un médecin, sans connexion entre les différents praticiens consultés, s’apparentant fréquemment au nomadisme médical ;
  • une diversification des sources d’information médicale, ne privilégiant pas celles émanant d’autorités compétentes officielles ;
  • un recours tardif aux soins, seulement lorsque l’aggravation des symptômes les rend insupportables ;
  • une consommation de pratiques non validées, qui parfois à leur insu s’avèrent charlatanesques ;
  • un suivi irrégulier des maladies chroniques et une observance fluctuante des thérapies initiées ;
  • une tendance à l’automédication ;
  • une influence prégnante des réseaux d’amis pour des décisions sur des questions de santé (associations de compatriotes expatriés, parents élus des écoles bilingues…) ;
  • dans certains cas, une totale abstention thérapeutique dans l’attente d’un hypothétique séjour dans le pays d’origine ;
  • et puis, des ruptures inopinées avec des engagements (divorces, rupture de contrat, anticipation du retour, ou renoncement définitif au projet de vie à l’étranger).

Les causes de ces attitudes sont de différentes natures :

  • une qualité d’information insuffisante ou erronée sur le fonctionnement du système de santé local ; souvent liée à l’un des faits ci-dessus décrit, à savoir les conseils émanant de réseaux d’amis ;
  • les difficultés d’intercompréhension en situation transculturelle, lorsque patient et soignants sont de cultures différentes ;
  • une confiance limitée envers les équipes locales de soins ;
  • un niveau de couverture précaire par une assurance maladie : 40 % des Français de l’étranger ne sont pas couverts ;
  • des raisons pratiques, matérielles, associées aux transports, ou encore liées à la crainte d’une complexité administrative autour des soins ou de la protection sociale ;
  • un état émotionnel entravant la sérénité, par l’addition de l’impact affectif de la pathologie subie et l’appréhension des difficultés d’accès aux soins pré-énumérées ;
  • un départ négligement préparé, voire aventureux, majoritairement observés chez des sujets célibataires, ambitieux et idéalistes, compensant une rareté de diplômes par l’acceptation de contrat précaires à l’étranger ;
  • contrairement à une idée largement répandue, la barrière linguistique n’est qu’accessoire en tant que frein à se diriger vers les équipes soignantes du pays d’accueil.

Vers un développement de l’expertise médicale en faveur des expatriés

La spécificité médicale des familles expatriées, longtemps non reconnue est aujourd’hui démontrée. Celle-ci conduit à admettre que chez le patient expatrié, quels que soient son niveau d’étude et de revenus, son pays d’accueil, son motif et sa durée de séjour, l’acte migratoire engendre cette vulnérabilité particulière, l’expose à ces risques propres et induit ces comportements dans le recours aux soins. Un tabou a ainsi été levé sur ce sujet qui embarrassait des services RH d’entreprises, des équipes consulaires ou celles des écoles françaises à l’étranger.

Mieux documentée au plan scientifique et délestée de l’omerta qui la cantonnait aux concepts vagues de « choc culturel », de « mal du pays » ou de « blues de l’expat », cette réalité médicale bénéficie désormais d’une expertise destinée à y répondre.

Ceci est grandement dû au développement de diplômes universitaires, dans diverses disciplines médicales et paramédicales, portant sur les soins en situations migratoires et transculturelles. Pouvoir faire appel à des praticiens dûment formés offre enfin l’opportunité d’une remédiation compétente et reconnue, dont la carence tendait à être comblée par des coachings hasardeux et d’une sécurité douteuse.

Pour en savoir plus :

https://lepetitjournal.com/expat-emploi/coaching/prendre-soin-de-sa-sante-mentale-en-expatriation-263904